Vu du Pactole

Publié le 8 Mars 2016

Vu du Pactole

Encore une chronique tirée de mes "exercices radiophoniques"... Où il est question de gros sous, d'histoire et d'étymologie. Une tentative de portrait de groupe de l'humanité en homo moneticus...

L’homme est un animal au fonctionnement complexe. Son organisation sociale, depuis la nuit des temps, l’a poussé à utiliser toujours plus d’objets, d’outils, de biens, de services. De sorte que, pris individuellement, il ne peut pas être autonome. Il doit recourir à ses congénères. Chacun se spécialise dans la fabrication d’un objet ou même d’une toute petite partie de sa fabrication. L’être humain est voué aux échanges.

Alors au commencement, il y a eu le troc. Je te donne de la viande d’ours et en échange, tu me donnes des céréales. Ta fille contre ma pirogue. Ma vache contre ton cheval… Seulement voilà, ça devient plus complexe au fur et à mesure que la société devient plus sophistiquée. Si j’ai une vache à donner et que c’est d’un cheval que tu as besoin, le troc ne fonctionne plus. Il faut imaginer autre chose.

Coquillages et petites rivières

Très vite, on a inventé le principe de la monnaie. A l’intérieur d’un groupe social, même vaste, il faut trouver une marchandise qui serve d’intermédiaire dans les échanges et qui soit reconnue comme telle par tous. Au début, ça pouvait être des petits objets réalisés avec des plumes, des pierres, des bouts d’os... Ça pouvait aussi passer par le bétail : l’adjectif pécuniaire vient du latin pecus qui veut dire troupeau. Les soldats romains étaient payés avec du sel : c’est l’origine du mot salaire. Et pourquoi pas des coquillages ? Les cauris, ces petites porcelaines de l’Océan indien, ont servi de monnaie dès le 13e siècle avant notre ère en Chine et jusqu’à tout récemment dans certains coins d’Afrique.

Et bien sûr, on en vient aux métaux précieux, puis à la monnaie proprement dite : c’est-à-dire des pièces ayant toutes le même poids, la même forme et marquées du même signe pour les authentifier. En l’occurrence, la plus ancienne monnaie connue est celle du roi de Lydie Gygès, qui la fait fabriquer au 7e siècle avant Jésus-Christ, à partir d’un alliage d’or et d’argent extrait d’un petit cours d’eau de 25 kilomètres de long dans l’actuelle Turquie : le Pactole. Eh oui, toute notre histoire est racontée dans l’étymologie !

Tout ça pour dire qu’il a coulé beaucoup d’eau sous les ponts du Pactole avant qu’on arrive au système de Bretton Woods puis à l’arrêt de l’étalon-or, à l’invention des assignats, des billets de banque, de l’euro ou de la carte bancaire, à Paypal ou à la crise des subprimes (tout ça dans le désordre chronologique et parfois même économique).

Faites-moi confiance !

C’est devenu hyper-compliqué, mais il n’empêche qu’il y a quand même quelques constantes dans l’histoire de la monnaie. Par exemple ses liens avec le sacré. C’est d’abord dans les temples qu’on a amassé des trésors, réclamé des tributs qui ont remplacé les sacrifices humains, érigé des statues divines en métaux précieux. Peut-être pour cette raison, l’or devient lui-même une valeur adulée, de Crésus à Oncle Picsou, des conquistadors espagnols cherchant l’El Dorado jusqu’aux médailles des Jeux olympiques.

La monnaie a aussi très vite été liée au pouvoir, qui a toujours cherché à s’en accaparer le monopole. Monnaie et pouvoir se légitiment mutuellement. La circulation monétaire est une mesure de la puissance et de l’influence de celui qui l’émet. Voyez ce qu’il en est du dollar, monnaie en principe états-unienne mais qui sert aux échanges dans le monde entier.

Enfin, il y a un élément constant, indispensable : une monnaie a besoin d’être portée par la confiance de ceux qui l’utilisent. Sans la confiance des utilisateurs, la monnaie ne circule plus. Elle s’effondre.

Retrouver la mesure
De nos jours, et pour passer vite sur les questions économiques difficiles, les choses se sont sérieusement compliquées. La monnaie n’a plus de lien avec un métal précieux ou un étalon quelconque. Dématérialisée, elle est devenue abstraite. Ça favorise la spéculation sans limites. Les crises économiques se mondialisent et donnent le vertige. L’organisation des échanges est devenue chaotique, incompréhensible et déroutante.

Dans ce contexte, des économistes comme Bernard Lietaer prônent le développement de monnaies complémentaires basées sur un périmètre géographique et social limité. Selon eux, elles peuvent permettre d’atténuer les effets des crises mondiales. En quoi ? En ce qu’elles favorisent l’économie circulaire et de ce fait, peuvent aider à redynamiser l’économie : ces monnaies ne peuvent par définition servir qu’à acquérir des produits locaux et quand on les a en main, on cherchera l’artisan du coin de préférence au made-in-l’autre-bout-du-monde. Ils permettent aussi de redonner du sens aux échanges, dans un esprit de collaboration et de solidarité : on ne peut pas s’en servir pour spéculer ; la monnaie retrouve donc sa destination première. A travers les associations qui les gèrent, les campagnes d’information pour les lancer, les populariser, les développer, on met l’argent au centre d’un débat plus sain. Et ce n’est pas un luxe.

 
Encore une curiosité étymologique : si on parle de monnaie "sonnante et trébuchante", ce n'est pas parce que son propriétaire a peur de trébucher sous son poids ou devant son caractère sacré... mais parce que dans les temps anciens, les changeurs utilisaient, pour vérifier le poids du métal précieux, une petite balance de précision nommée "trébuchet".

Encore une curiosité étymologique : si on parle de monnaie "sonnante et trébuchante", ce n'est pas parce que son propriétaire a peur de trébucher sous son poids ou devant son caractère sacré... mais parce que dans les temps anciens, les changeurs utilisaient, pour vérifier le poids du métal précieux, une petite balance de précision nommée "trébuchet".

Rédigé par Balassaghun 63

Publié dans #Histoire du monde

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