Curieux comme se font les rapprochements.

Durant le mois de janvier, j'ai eu l'occasion de lire deux textes (1) portant la parole de la grande dame du théâtre, Ariane Mnouchkine. J'ai été frappée par la fraîcheur de son propos. Entendre parler de confiance, en soi, en tous les autres, en l'humanité, en l'avenir, par les temps qui courent, c'est rassérénant. Ariane nous dit en substance de laisser tomber les peurs, les petitesses, les méfiances, les haines, de prendre sa part de l'entreprise monde et d'aller de l'avant. Elle nous demande de nous lancer avec confiance sans crainte de chuter, d'y aller franchement.

Cessons de ronchonner. Suivons-la !

Il faut lire en entier le texte de ses conférences. Elle parle de ses cinquante ans de Théâtre du Soleil avec une telle simplicité ; on en sort convaincu qu'il est à la portée de tout un chacun d'accomplir de si belles entreprises. "J'ai la sensation, dit-elle, avec des mauvais moments et des bons, de vivre une petite épopée. Elle n'a pas besoin d'être grande du moment qu'elle est vraie et condensée. Elle est falstafienne, soit à la fois complètement ridicule et complètement merveilleuse. On ne peut pas vivre une épopée quand on est seul. Le début d'une épopée est quand même de se choisir, de décider de faire quelque chose ensemble."

"Une petite épopée". Je trouve le terme beau, juste et inspirant. Chasser l'étriqué, retrouver le goût de l'aventure, même modeste. Lever les yeux, viser loin, trouver les compagnons avec qui partager la route et foncer... Nous ne referons peut-être pas le Théâtre du Soleil, mais nous pouvons nous surpasser pour franchir (au moins) un pas de plus que ce dont nous nous croyons capables. Soyons solaires !

Les épopées et les utopies d'Ariane Mnouchkine m'ont portée durant tout ce mois de janvier. ("L'utopie n'est pas de l'irréalisable. L'utopie est le possible non encore réalisé", dit-elle encore ; ça aussi, je prends !). Et me porteront encore longtemps, je crois.

Et puis voilà qu'une autre grande dame, de la même génération, vient ajouter sa pincée de sel à mon mois de janvier. Je vais une nouvelle fois écouter sur scène Giovanna Marini. Ses spectacles, pourtant d'un tout autre genre, me font le même effet régénérant que ceux d'Ariane Mnouchkine. Ce mélange de sagesse infinie, de hauteur de vue, de générosité et de désinvolture...

Mais là, un propos me saute aux oreilles parce qu'il fait écho à mes lectures solaires évoquées plus haut. Giovanna Marini emploie le terme grec, epos. ("Parce que je suis une femme très cultivée, je ne sais pas le dire autrement qu'en grec", ajoute-t-elle pour se moquer d'elle-même.) A vrai dire, elle ne donne pas à son epos exactement le même sens que l'épopée de la dame de la Cartoucherie. Pour elle, il s'agit de la forme épique. "La forme compte toujours ; il faut chanter les choses pour qu'elles aient un sens, pour leur donner un visage épique. Les outils modernes, internet, le computer, c'est très utile, mais ça ne remplace pas le chant. Il ne faut pas cesser de chanter les histoires."

A y réfléchir de plus prêt, les deux propos se rejoignent. Chanter et réenchanter. Donner forme, vie et souffle à nos petites et grandes aventures humaines. C'est ce dont nous avons plus que jamais besoin.

Merci, Mesdames.

(1) Il s'agit des voeux de nouvel an 2014 suscités par Mediapart et que l'on peut réentendre ici, et surtout de la transcription de deux conférences qu'elle a données au Channel, la scène nationale de Calais, et que.. et zut, ce n'est plus en ligne sur le site internet du Channel. Mais on doit pouvoir se le procurer en le leur demandant gentiment. Ce sont des gens bien.

Ulysse à l'écoute de la sirène. Grandes et petites épopées...

Ulysse à l'écoute de la sirène. Grandes et petites épopées...

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